Ana-Maria VLĂSCEANU*
Université de Bucarest
Ana-Mihaela V. ACATRINEI**
Université de Bucarest
Résumé : Les implications de la situation en Ukraine pour les intérêts politiques, humanitaires et de sécurité de la Roumanie ont conduit à l’adoption urgente de mesures visant à fournir soutien et assistance humanitaires aux catégories de citoyens étrangers et d’apatrides ukrainiens en situations de vulnérabilité. L’étude vise à démontrer l’attitude de conformité de l’État roumain à l’égard des dispositions européennes en matière de protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées, et les mesures visant à promouvoir un équilibre entre les efforts des États membres pour accueillir ces personnes et les conséquences de cet accueil, ainsi que les mesures effectivement adoptées. La présente étude aborde une analyse comparative des mesures de politique sociale récemment adoptées dans le contexte de la crise et des conditions dans lesquelles elles ont été accordées.
Mots-clés : sécurité sociale; protection temporaire; assistance humanitaire.
Abstract: The implications of the situation in Ukraine for Romania’s political, humanitarian and security interests have led to the urgent adoption of measures aimed at providing humanitarian support and assistance to categories of Ukrainian foreign citizens and stateless persons in vulnerable situations. The study aims to demonstrate the Romanian State’s attitude of compliance towards the European provisions on temporary protection in the event of a mass influx of displaced persons, and the measures designed to promote a balance between Member States’ efforts to receive such persons and the consequences of doing so, as well as the measures actually adopted. This study provides a comparative analysis of the social policy measures recently adopted in the context of the crisis, and the conditions under which they were granted.
Keywords: social security; temporary protection; humanitarian assistance.
1. Introduction
Le 4 mars, le Conseil de l’Union européenne a adopté à l’unanimité une décision de mise en œuvre[1] introduisant la mesure de protection temporaire (telle que réglementée par la directive 2001/55/CE[2] du Conseil du 20 juillet 2001) à la suite de l’afflux massif de personnes fuyant l’Ukraine en raison de la guerre. La protection temporaire est un mécanisme d’urgence qui vise à fournir une protection immédiate et collective aux personnes déplacées qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine.
L’objectif est de permettre aux personnes déplacées de bénéficier de droits harmonisés dans l’ensemble de l’Union européenne. Ces droits comprennent le droit de séjour, l’accès au marché du travail et au logement, les soins de santé et l’accès à l’éducation pour les enfants.
Ce mécanisme de protection ne doit pas être confondue avec la protection qui peut être octroyée suite à une demande d’asile. Le statut d’asile[3] peut être accordé aux ressortissants étrangers qui, craignant avec raison d’être persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social particulier, se trouvent en dehors de leur pays d’origine et qui ne peuvent pas ou, en raison de cette crainte, ne souhaitent pas demander la protection de ce pays, ainsi que les apatrides qui, pour les mêmes raisons que celles mentionnées ci-dessus, se trouvent en dehors du pays dans lequel ils avaient leur résidence habituelle et qui ne peuvent ou, en raison de cette crainte, ne souhaitent pas retourner dans ce pays (à condition que les motifs d’exclusion prévus à l’article 23 de la loi 122/2006[4] sur l’asile ne s’appliquent pas). Cette situation est différente de celle de la protection temporaire, qui est accordée en vertu de la loi et pour laquelle les demandeurs ne risquent pas de voir leur demande rejetée. En outre, les guerres et les conflits ne font pas partie des raisons pour lesquelles le statut de demandeur d’asile peut être accordé.
La demande d’asile peut ainsi être introduite par tout étranger se trouvant sur le territoire roumain ou à un point de passage de la frontière. Une personne est considérée comme un demandeur d’asile à partir du moment où elle manifeste sa volonté, exprimée par écrit ou oralement, devant les autorités compétentes, et qu’il en résulte qu’elle demande la protection de l’État roumain. Les demandes d’asile sont déposées en personne par les étrangers se trouvant en Roumanie ou à un point de contrôle pour le franchissement de la frontière de l’État.
Dans le cas des mineurs, les demandes d’asile peuvent être déposées par le représentant légal. Les mineurs qui ont atteint l’âge de 14 ans peuvent demander l’asile en leur nom propre. Si un ressortissant d’un pays tiers adresse une demande, un mémorandum ou une pétition indiquant qu’il souhaite bénéficier d’une forme de protection en Roumanie, il sera informé par écrit qu’il est nécessaire de se présenter en personne aux autorités compétentes pour recevoir ces demandes.
La compétence territoriale concernant la réception, l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile revient aux centres régionaux de procédures et d’hébergement des demandeurs d’asile subordonnés à la Direction de l’Asile et de l’Intégration, respectivement situés à Bucarest, Timisoara, Galați, Radăuți, Maramureș et Giurgiu. Après avoir déposé sa demande d’asile, le demandeur sera soumis à un entretien préliminaire. Le demandeur d’asile est tenu de présenter tous les documents dont il dispose et qui sont pertinents pour sa situation personnelle, ainsi que le document de franchissement de la frontière de l’État et recevra le document d’identité temporaire pour les demandeurs d’asile, délivré par l’Inspection générale de l’immigration. Suite à cette procédure, le demandeur d’asile peut voir sa demande acceptée et donc le statut de refugie va lui être octroyé, soit sa demande peut être rejeté s’il ne se qualifie pas pour obtenir ce statut ou même une autre forme de protection subsidiaire.
La protection subsidiaire peut être accordée aux ressortissants étrangers ou aux apatrides qui ne remplissent pas les conditions de reconnaissance du statut de demandeur d’asile et pour lesquels il y a des motifs raisonnables de croire qu’en cas de retour dans le pays d’origine ou de résidence habituelle, ils seront exposés à un risque grave, qui ne peuvent pas ou, en raison de ce risque, ne veulent pas bénéficier de la protection de ce pays et auxquels les motifs d’exclusion de l’octroi de cette forme de protection prévus par la présente loi ne s’appliquent pas (voir l’article 26, paragraphe 1, de la loi n° 122/2006[5] relative à l’asile en Roumanie). La notion de “risque grave” peut inclure une menace individuelle grave pour la vie ou l’intégrité résultant d’une violence généralisée dans des situations de conflit armé interne ou international, dans la mesure où le demandeur fait partie de la population civile (voir l’article 26, paragraphe 2, point 3, de la loi n° 122/2006 relative à l’asile en Roumanie).
2. Le cadre juridique roumaine visant la protection de potentielles travailleurs ukrainiens
La loi 122/2006 sur l’asile, publiée au Journal officiel n° 428 du 18 mai 2006, est le principal acte de mise en œuvre de la directive sur la protection temporaire. 428 du 18 mai 2006, est la principale loi de mise en œuvre de la directive sur la protection temporaire.
Toutefois, pour compléter le cadre juridique, le 27 février 2022, le gouvernement roumain a adopté l’ordonnance gouvernementale d’urgence no. 15/2022[6] sur l’octroi par l’État roumain d’un soutien et d’une assistance humanitaire aux citoyens étrangers ou aux apatrides en situation particulière originaires de la zone de conflit armé en Ukraine, publiée au Journal officiel de la Roumanie sous le no. 193/27.02.2022 (GEO 15/2022), qui est entrée en vigueur à la même date.
Le 18 mars, la décision 367/2022[7] établissant certaines conditions d’octroi de la protection temporaire et modifiant et complétant certains actes dans le domaine des étrangers a été adoptée. Cet acte normatif, publié sur proposition de l’Inspection générale de l’immigration pour la mise en œuvre de la décision d’exécution du Conseil (UE) 2022/382[8], établit les conditions concrètes pour assurer la protection temporaire des personnes déplacées sur le territoire de la Roumanie et établit les catégories de personnes qui peuvent bénéficier de ce statut.
Plusieurs autres lois ont été adoptées entre-temps pour garantir l’assistance et l’accueil adéquat des personnes déplacées d’Ukraine.
- Ordonnance d’urgence du gouvernement n° 20/2022 modifiant et complétant certains actes normatifs et établissant certaines mesures de soutien et d’assistance humanitaire, publiée au Journal officiel de la Roumanie sous le n°. 231/08.03.2022 (GEO 20/2022), est entrée en vigueur le 8 mars. Le GEO 20 modifie et complète le GEO 15, notamment en ce qui concerne la définition des bénéficiaires.
- Ordonnance no. 301/2022, qui approuve la procédure d’emploi des personnes déplacées d’Ukraine conformément aux dispositions de l’OG 20/2022, publié dans le Journal officiel de la Roumanie, partie I, n° 240 du 10 mars 2022, du ministère du Travail et de la Solidarité sociale (MLSS).
Les articles 130 et suivants de la loi 122/2006 sur l’asile en Roumanie régissent l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées. Cette forme de protection est exceptionnelle et ne s’applique que si l’afflux massif de réfugiés est reconnu par le Conseil de l’Union européenne. Il ressort des dispositions légales qu’aucune demande de protection temporaire n’est nécessaire, celle-ci étant accordée de plein droit. La durée de la protection temporaire est d’un an avec possibilité de prolongation.
La protection temporaire accordée aux personnes déplacées d’Ukraine en vertu du GEO 15/2022 s’applique aux personnes entrées en Roumanie à partir du 24 février 2022. Les mesures de protection sont valables tant que la décision de l’Union européenne (UE) est en vigueur, c’est-à-dire pendant un an, jusqu’en mars 2023.
Le GEO 20/2022 étend l’application de l’article 1(1) du GEO 15/2022 sur l’octroi d’un soutien et d’une assistance humanitaire par la Roumanie aux citoyens étrangers ou aux apatrides dans des situations spéciales, provenant de la zone de conflit armé en Ukraine (OUG 15/2022) et aux bénéficiaires de la décision d’application du Conseil. En particulier, les règles relatives à la fourniture de nourriture, de vêtements, de matériel d’hygiène personnelle, de transport, d’assistance médicale et de traitement approprié (par le biais de l’assistance médicale d’urgence et du système de premiers secours qualifié), ainsi que le droit d’être inclus dans les programmes nationaux de santé publique (applicables aux personnes qui ne demandent pas l’asile en Roumanie, mais qui sont installées dans des camps d’hébergement temporaire ou dans d’autres structures d’hébergement organisées par les autorités), s’appliquent par extension aux citoyens ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022, aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui bénéficiaient d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant cette date, ainsi qu’aux membres de leur famille. Cette forme de protection est exceptionnelle et ne s’applique que si l’afflux massif de réfugiés est reconnu par le Conseil de l’Union européenne. Il ressort des dispositions légales qu’aucune demande de protection temporaire n’est nécessaire, celle-ci étant accordée de plein droit.
3. Travailler en Roumanie
Les ressortissants ukrainiens qui sont entrés légalement sur le territoire de la Roumanie et qui ne demandent pas une forme de protection conformément à la loi n° 122/2006 sur l’asile en Roumanie, peuvent être employés sans avoir besoin du permis/autorisation de travail prévu par l’ordonnance du gouvernement (GO) n° 25/2014[9] sur l’emploi et le détachement des étrangers sur le territoire de la Roumanie et pour la modification et le complément de certains actes normatifs sur le régime des étrangers en Roumanie.
Ainsi, à titre exceptionnel, à partir du 8 mars 2022, les ressortissants ukrainiens peuvent être employés par des entreprises roumaines conformément à la législation roumaine sur le travail, sans avoir besoin d’obtenir une autorisation de travail ou un visa de travail. Ils doivent toutefois demander un permis de séjour à des fins professionnelles. L’un des droits accordés par le statut de protection temporaire est le droit d’être employé, d’exercer des activités indépendantes, dans le respect des règles applicables à la profession, conformément à la loi.
Les citoyens ukrainiens originaires de la zone de conflit armé en Ukraine qui ne disposent pas de documents attestant de leurs qualifications professionnelles ou de leur expérience professionnelle nécessaires pour occuper un emploi peuvent être employés pour une période de 12 mois, avec possibilité de prolongation par périodes de 6 mois, pour une durée maximale d’un an, sur la base d’une déclaration sous leur propre responsabilité attestant qu’ils possèdent les qualifications et l’expérience professionnelle nécessaires pour occuper l’emploi et qu’ils n’ont pas de casier judiciaire incompatible avec l’activité dans laquelle ils sont employés.
Les citoyens ukrainiens, qui n’ont pas de documents prouvant les qualifications professionnelles ou l’expérience professionnelle nécessaires pour l’emploi, peuvent être employés sur le territoire de la Roumanie sur la base d’une déclaration sous serment, pour une période de 12 mois avec la possibilité de prolongation par périodes de 6 mois, pour un maximum d’un an. Par cette déclaration, ils assument qu’ils remplissent les conditions de formation et d’expérience professionnelle dans l’activité et qu’ils n’ont pas de casier judiciaire incompatible avec l’activité qu’ils vont exercer sur le territoire de la Roumanie. La procédure d’embauche doit être approuvée par arrêté du ministre du Travail et de la Solidarité sociale dans un délai de 5 jours ouvrables à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
Les dispositions relatives à la déclaration de responsabilité propre ne sont pas applicables aux citoyens ukrainiens qui souhaitent accéder ou exercer les professions de médecin, dentiste, pharmacien, assistant médical général, sage-femme, vétérinaire et architecte, ou d’autres professions énumérées aux annexes 2, 4 et 8 de la loi n° 200/2004[10] sur la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles pour les professions réglementées en Roumanie.
En dehors de ce régime dérogatoire établi par le GEO 20/2022, les dispositions légales nationales existantes (telles que réglementées par le GO 25/2014) prévoient trois autres possibilités d’emploi de ressortissants ukrainiens par un employeur roumain. Ces modalités dérogent aussi à la règle générale selon laquelle un employeur local (entreprise roumaine) doit obtenir un permis de travail pour employer une personne physique d’un pays tiers.
- Pour une durée déterminée de neuf mois maximum au cours d’une année civile : Cette première option est celle prévue à l’article 3, paragraphe (2), point o) de la GO 25/2014, selon laquelle les personnes déplacées peuvent être employées sur le territoire de la Roumanie avec un contrat de travail individuel à temps plein pour une période maximale de neuf mois au cours d’une année civile (emploi sans aucun statut de réfugié). Conformément à l’article 13, paragraphe 3, de l’ordonnance n° 25/2014, les personnes déplacées ukrainiennes employées sur le territoire roumain avec un contrat de travail individuel à temps plein, pour une période maximale de neuf mois par année civile, n’ont pas besoin de permis de travail si elles remplissent les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 2, de GO 25/2014, c’est-à-dire les conditions d’autorisation prévues par la législation en vigueur en Roumanie pour l’occupation de cet emploi (si de telles conditions d’autorisation existent pour la position qu’elles vont occuper) et si elles n’ont pas de casier judiciaire incompatible avec l’activité qu’elles vont exercer sur le territoire roumain. En résumé, cette procédure implique uniquement l’obtention du NIF (numéro d’identification fiscale) sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un permis de travail. Dans cette situation, les personnes déplacées ukrainiennes doivent être embauchées dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein (8h/jour, 40 heures/semaine) (voir l’article 3(1)o) du GO 25/2014). Ces personnes restent toutefois tenues d’obtenir un visa de long séjour et un permis de séjour lors de la prolongation du droit de séjour initial. Après ces neuf mois, les ressortissants ukrainiens qui souhaitent continuer à travailler en Roumanie peuvent bénéficier d’une prolongation, à condition d’obtenir un permis de travail et un contrat de travail individuel à temps plein enregistré dans le registre général des employés, qui montre que le salaire est au moins au niveau du salaire minimum (c’est-à-dire 3.000 lei).
- Dans les trois mois suivant le dépôt de la demande d’asile en Roumanie : les personnes déplacées ukrainiennes peuvent être embauchées en Roumanie après trois mois à compter de la date à laquelle elles ont officiellement déposé leur demande d’asile en Roumanie. Elles peuvent rester employées pendant toute la durée de la procédure d’asile ; en d’autres termes, pendant toute la durée de l’analyse de la demande d’asile par les autorités roumaines (conformément à l’article 3, paragraphe (1), point k) de la GO 25/2014 en relation avec l’article 17, paragraphe (1), point o) de la loi 122/2006 sur l’asile en Roumanie). Cette deuxième option basée sur les dispositions de l’article 3(2)k) de la GO 25/2014, implique l’emploi direct, sans l’obtention d’un permis de travail de l’employeur, pour les demandeurs d’asile à partir de la date à laquelle ils ont le droit de recevoir l’accès au marché du travail conformément à la loi n° 122/2006.
- Après avoir été reconnus comme réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire : Les personnes déplacées ukrainiennes auxquelles la protection a été officiellement reconnue ont les mêmes droits que les citoyens roumains, outre le droit de vote et d’éligibilité aux fonctions publiques, notamment : (i) être employées par des personnes physiques ou morales, dans les mêmes conditions que les Roumains ; (ii) bénéficier de l’assurance sociale, des mesures d’assistance sociale et de l’assurance maladie sociale, dans les conditions prévues par la loi pour les Roumains ; (iii) bénéficier de l’égalité de traitement avec les Roumains en ce qui concerne l’équivalence des études ou des périodes d’études, la reconnaissance des diplômes et des certificats de compétence, ainsi que des qualifications professionnelles qui donnent accès aux professions en Roumanie.
Le nouveau GEO 20/2022 établit désormais, comme l’on a déjà démontré, des règles spéciales pour l’emploi des citoyens ukrainiens.
- Les personnes ukrainiennes déplacées peuvent être employées sans permis de travail (il n’est plus nécessaire que la durée du contrat de travail soit limitée à neuf mois, comme l’exigent les règles générales présentées ci-dessus).
- Le droit de séjourner à des fins d’emploi est étendu aux personnes déplacées ukrainiennes (à l’expiration des 90 premiers jours suivant leur entrée en Roumanie), sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un visa de long séjour à des fins d’emploi.
Ces règles spéciales ne s’appliquent qu’aux personnes déplacées ukrainiennes qui sont entrées légalement en Roumanie et qui ne demandent pas une forme de protection au titre de la loi 122/2006 sur l’asile en Roumanie (le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, respectivement). Ainsi, avec l’adoption du nouveau règlement, GEO 20/2022, les personnes déplacées ukrainiennes ont deux options supplémentaires concernant une éventuelle installation en Roumanie : (i) l’emploi direct, sans la nécessité d’obtenir un visa et un permis de travail ; ou la demande de protection temporaire conformément à la directive sur la protection temporaire qui fournit automatiquement le droit de résidence et de travail.
On veut souligner ici qu’il existe aussi la possibilité de changement de statut de la protection temporaire à la carte bleue européenne. Le passage du statut de protection temporaire à celui de carte bleue européenne n’est pas expressément prévu par la législation. En tant que telle, aucune disposition légale n’empêcherait une personne déplacée ukrainienne bénéficiant d’une protection temporaire de demander une carte bleue, même si elle reste dans le pays.
Si les bénéficiaires de la protection temporaire ont l’intention de travailler en Roumanie en tant qu’employés hautement qualifiés pendant plus de 90 jours, ils peuvent demander une carte bleue européenne pendant la durée du régime de protection temporaire. Cette carte ne sera toutefois applicable qu’après l’expiration de la protection temporaire. Le futur employeur doit d’abord demander à l’Inspection générale de l’immigration (GII) une autorisation de travail pour les employés hautement qualifiés. Cette autorisation est délivrée dans le cadre des quotas fixés par le gouvernement, à moins qu’il n’existe une exemption à l’obligation de quota. Pour demander une carte bleue européenne, le demandeur doit (i) avoir un contrat de travail valide ou une offre d’emploi ferme pour un emploi hautement qualifié d’une durée d’au moins un an ; (ii) atteindre le seuil de salaire minimum pour la Roumanie ; (iii) pour les professions réglementées : présenter des documents prouvant que les exigences légales nationales sont satisfaites ; et (iv) pour les professions non réglementées: présenter des documents prouvant que les qualifications professionnelles supérieures pertinentes sont satisfaites.
En Roumanie, la carte bleue européenne est délivrée pour une période d’un an et prolongée pour la durée du contrat de travail plus trois mois et jusqu’à deux ans maximum (plus d’informations ici). La législation nationale prévoit que le délai maximum de traitement pour la délivrance d’une carte bleue européenne en Roumanie est de 30 jours [11].
Une possibilité assez nouvelle pour les ressortissants ukrainiennes est de pouvoir travailler en Roumanie en tant que “nomades numériques”, un statut récemment réglementé par les autorités en vertu de la loi n° 22/2022[12] portant modification de l’ordonnance d’urgence du gouvernement n° 194/2002[13] sur le régime des étrangers en Roumanie, Un visa de nomade numérique permet à une personne d’obtenir un permis de séjour en Roumanie tout en travaillant à distance pour un autre pays depuis la Roumanie. La principale condition d’obtention d’un tel visa est que le demandeur soit employé d’une société étrangère ou qu’il soit propriétaire d’une société enregistrée en dehors de la Roumanie depuis plus de trois ans.
4. Sécurité sociale pour les ressortissants ukrainiens en Roumanie
Les principaux droits de sécurité sociale régis par la législation roumaine sont les suivants : (i) les prestations de vieillesse, d’invalidité et de survivants ; (ii) les prestations de maladie ; (iii) les prestations pour accidents du travail et maladies professionnelles ; (iv) les prestations de chômage ; (v) les prestations familiales (congé de maternité, garde d’enfants malades, congé parental, allocations familiales).
Avant le GEO 20/2022, il n’y avait pas de dispositions visant les prestations spéciales de sécurité sociale pour les ressortissants ukrainiens ou les autres bénéficiaires de mesures de protection temporaire. Ainsi, avant le GEO 20/2022, les citoyens ukrainiens avaient le droit à une assistance médicale d’urgence, qui comprend les principaux services de soins de santé:
- Assistance médicale gratuite et services de soins similaires à ceux fournis aux citoyens roumains, pour une période de 90 jours, si l’entrée en Roumanie remplit les conditions légales, c’est-à-dire sur la base du passeport biométrique.
- Les citoyens ukrainiens qui avaient un droit légal de résidence en Roumanie (mais qui ne bénéficiaient pas d’une forme de protection internationale) bénéficiaient des services susmentionnés moyennant le paiement des cotisations de santé pour les revenus liés au travail ou à partir de la date à laquelle ils ont soumis une déclaration pour le paiement des cotisations de sécurité sociale.
- Les soins de santé primaires et les traitements, les soins hospitaliers d’urgence, ainsi que les soins médicaux et les traitements ont été accordés gratuitement dans les cas de maladies aiguës ou chroniques mettant la vie en danger, pour les citoyens demandant l’asile en Roumanie.
- Une assistance médicale et des services de soins gratuits étaient disponibles pour les citoyens ukrainiens qui bénéficiaient d’une forme de protection internationale (par exemple l’asile) et qui étaient assurés dans le cadre du système d’assurance maladie sociale.
Toutefois, le GEO 20/2022 a modifié le contenu du GEO 15/2022 en ce qui concerne les soins et l’assistance médicale. Son article 1 prévoit certaines exceptions pour les personnes venant de la zone de conflit armé en Ukraine. Selon le GEO 15/2022 modifié, certaines catégories de personnes visées à l’article 1, paragraphe 4, qui ont besoin de services médicaux, de fournitures médicales, de médicaments et de dispositifs médicaux, bénéficient de l’ensemble des services de base prévus dans le contrat-cadre sur les conditions de fourniture de soins médicaux, de médicaments et de dispositifs médicaux dans le cadre du système d’assurance maladie sociale et dans les règles méthodologiques relatives à son application, ainsi que des médicaments, des fournitures médicales, des dispositifs médicaux et des services médicaux inclus dans les programmes nationaux de santé curative, comme les assurés roumains, sans paiement de la cotisation à l’assurance maladie sociale, de la contribution personnelle pour les médicaments fournis dans le cadre d’un traitement ambulatoire et avec exemption du ticket modérateur.
En même temps, l’article 1, paragraphes 6 et 7, du GEO 15/2022, tel que modifié et complété, prévoit que les fournisseurs de services médicaux, de fournitures médicales, de médicaments et d’appareils qui entretiennent des relations contractuelles avec les compagnies d’assurance maladie, y compris pour les programmes des programmes nationaux de santé curative, sont obligés de:
- d’enregistrer dans l’application informatique fournie par la Caisse nationale de santé les personnes visées à l’article 1er, paragraphe 4, et de conserver des copies des documents d’identité, s’ils existent ;
- d’établir des registres séparés pour les services médicaux, les fournitures médicales, les médicaments ou les dispositifs médicaux fournis aux personnes visées ci-dessus et pour lesquels ils établissent des factures séparées.
En vertu du GEO 20/2022, les personnes handicapées, accompagnées ou non, qui proviennent de la zone de conflit armé en Ukraine et entrent en Roumanie, peuvent bénéficier, sur demande, de services sociaux fournis dans tous les types de centres résidentiels pour adultes handicapés, à savoir les logements protégés, les centres pour la vie autonome et les centres de réadaptation, les centres de soins et d’assistance ou les centres de répit/centres de crise. Si, à leur entrée en Roumanie, les personnes handicapées déclarent, individuellement ou par l’intermédiaire de leur accompagnateur, qu’elles resteront en Roumanie, elles peuvent être enregistrées, sur demande, dans les registres de la Direction générale de l’assistance sociale et de la protection de l’enfance afin de bénéficier des services fournis dans les centres pour adultes handicapés. Les adultes handicapés qui n’ont pas de documents d’identité valides seront communiqués à l’Inspection générale de l’immigration afin d’établir leur statut juridique, tandis qu’ils seront pris en charge, sur demande, par la Direction générale de l’assistance sociale et de la protection de l’enfance afin de fournir les services susmentionnés.
En outre, les citoyens étrangers ou les apatrides en situation particulière qui proviennent de la zone de conflit armé en Ukraine et entrent en Roumanie et qui ne demandent pas l’asile peuvent être hébergés gratuitement dans des camps d’hébergement temporaire et d’assistance humanitaire ou dans d’autres lieux d’hébergement établis par les comités d’urgence des comtés/de Bucarest. Ils y reçoivent de la nourriture, des vêtements et du matériel d’hygiène personnelle.
Les bénéficiaires de la protection temporaire ont également le droit :
- d’être informés, par écrit, dans une langue qu’ils sont censés comprendre, des dispositions relatives à la protection temporaire ;
- d’être employés, d’exercer des activités indépendantes, dans le respect des règles applicables à la profession, ainsi que des activités telles que des possibilités d’éducation pour adultes, de formation professionnelle et de stage pratique, conformément à la loi ;
- de bénéficier, sur demande, de l’assistance nécessaire à leur entretien, s’ils ne disposent pas des moyens matériels nécessaires ;
- pour les bénéficiaires de la protection temporaire ayant des besoins particuliers, de bénéficier d’une assistance médicale adéquate ;
- le droit d’accéder au système éducatif public dans les conditions prévues par la loi pour les citoyens roumains, dans le cas des bénéficiaires de la protection temporaire qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans.
Aussi il faut tenir compte de l’Ordre no 155/2022[14] modifiant l’Ordre du Président de la Caisse nationale d’assurance maladie no 1.549/2018[15], qui est entrée en vigueur à partir du 17 mars 2022. Afin de mettre en œuvre les dispositions de l’art. 1 para. (4) de l’OUG no 15/2022 sur l’octroi par l’État roumain d’un soutien et d’une assistance humanitaires aux citoyens étrangers ou aux apatrides en situation particulière provenant de la zone du conflit armé en Ukraine, afin d’assurer l’accès à l’ensemble des services médicaux de base, ainsi qu’aux médicaments, au matériel médical, aux dispositifs médicaux et aux services médicaux inclus dans les programmes nationaux de santé curative, les prestataires sont tenus de demander, de conserver et de soumettre les documents suivants en copie aux caisses d’assurance maladie:
- pour les citoyens ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 : document d’identité et document de voyage[16];
- pour les apatrides et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022: décision d’octroi ou de refus du permis de séjour en Ukraine et document de voyage ;
- pour les membres de la famille des citoyens ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 : acte de naissance, acte de mariage, acte d’adoption, déclaration sous serment, le cas échéant, et document de voyage.
5. Conclusions
Dans le contexte de la situation créée par l’agression militaire russe en Ukraine, l’État roumain a réagi d’une manière rapide et efficace et a créé le contexte normatif nécessaire à l’adoption de mesures de protection pour les citoyens étrangers et les apatrides en situation particulière qui proviennent de la zone de conflit armé en Ukraine et qui ne demandent pas de protection en vertu des dispositions de la loi n° 122/2006 sur l’asile en Roumanie.
[1] Décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire.
[2] Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.
[3] Lazăr Elena, Migration callenges and athways in the Black Sea, in the book: Irregular Migation in Europe:A Perspective from the Sea Basins, Editoriale Scientifica from Naples, Italy, iunie, 2022.
[4] Loi n° 122/2006 sur l’asile en Roumanie.
[5] Loi n° 122/2006 sur l’asile en Roumanie.
[6] Ordonnance d’urgence no 15/2022 sur l’octroi par l’Etat roumain d’un soutien et d’une assistance humanitaire aux citoyens étrangers ou aux apatrides en situation particulière originaires de la zone de conflit armé en Ukraine.
[7] Décision no. 367 du 18 mars 2022 pour établir de certaines conditions pour assurer la protection temporaire et pour modifier et compléter certains actes normatifs dans le domaine des étrangers, adoptée par le Gouvernement de la Roumanie.
[8] Décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire.
[9] Ordonnance no. 25/2014 sur l’emploi et le détachement des étrangers sur le territoire de la Roumanie et pour modifier et compléter certains actes normatifs sur le régime des étrangers en Roumanie.
[10] Loi n° 200/2004 sur la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles pour les professions réglementées en Roumanie.
[11] https://immigration-portal.ec.europa.eu/blue-card_fr.
[12] Loi n° 22/2022 modifiant et complétant l’Ordonnance d’urgence du gouvernement n° 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie.
[13] Ordonnance d’urgence n° 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie.
[14] sur l’approbation des Règles méthodologiques pour l’établissement des documents justificatifs pour l’acquisition du statut d’assuré, ainsi que pour l’établissement des documents nécessaires pour l’attribution du numéro d’identification unique dans le système social d’assurance maladie aux citoyens étrangers ou aux apatrides dans des situations spéciales qui viennent de la zone de conflit armé en Ukraine et entrent en Roumanie et qui ne demandent pas une forme de protection en vertu de la Loi no 122/2006 sur l’asile en Roumanie- Ordin CNAS privind asigurările sociale de sănătate pentru cetăţenii Ucraineni aflaţi în România – Legestart.
[15] L‘ordre n° 1549/2018 du 29 novembre 2018 sur l’approbation des règles méthodologiques pour l’établissement des pièces justificatives concernant l’acquisition de la qualité d’assuré.
[16] Les documents de voyage sont ceux prévus à l’article 10 de l’ordonnance gouvernementale d’urgence n° 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie, republiée, avec les modifications et ajouts ultérieurs.